Exil
« Je me levais en sautant littéralement de mon lit, de un, j'avais une crampe, de deux, j'étais tout excité, la sensation qu'on avait étant plus jeune, de partir en voyage avec l'école ou pendant les vacance ? C'était ça, en mieux. J'allumais ma radio (radio de voiture), récupérée sur le bord de la route, écoutant Fast Blood des Frightened Rabbit, tout en m'habillant. Je regardais dans le miroir craquelé mon visage et mon torse, ma barbe avait poussée, je paraissait 45 ans alors que j'en avais seulement 35.
Le visage assez émacié, mes cheveux étaient relativement longs. À l'entrée de cette chambre de bonne, s'amoncelaient des paquetages, divers affaires utiles à tous voyages, et donc, une fois préparé, je m'attelais à les attacher un peu partout sur mon vélo, pour prendre la route. Ça me prit trois aller/retour, (j'allais pas descendre mon vélo chargé!) et le "voisin" d'en face me regarda d'un drôle d'air lorsque il me vit descendre, les bras chargé de paquets, la musique faisant rendant les murs décrépis plus beaux, se demandant ce que faisait ce clochard d'ans l'immeuble. Je lui jetais un clin d'oeil, et repris ma besogne.
Une fois terminé, mon vélo était chargé de toutes part. C'était un vélo vieux modèle, de ceux qui feraient rire un biker avec son BMX, mais moi je l'aimais bien ma petit bécane. Dans la rue, l'humeur des gens réveillés se mêlaient aux odeurs des boulangeries aux fourneaux allumés, et moi, c'était mon cœur qui était en éveil. La populace était au téléphone, partait travailler, se rendait en cours ou bien se promenait, petite balade matinale pour garder la forme. C'était fou, ce bouillonnement, je m'apprêtais à traverser le pays, en vélo, avec mes affaires, en ce beau jour de fin d'été, et personne ne le savait. En même temps, quand on est clodo, les liens se serrent autour de la gorge au début, mais on garde rarement contact avec les gens dits « normaux ». Puis vient le moment du choix : se morfondre ou bien ce faire se morfondre tous ces gens, toute cette société impitoyable, en leur adressant un joli doigt d'honneur, pour dire « ouais, j'ai plus de thune, j'ai plus d'amis, j'ai plus de famille, je ne suis rien. Mais moi j'ai ma fierté et mes rêves, et j'ai toujours tendu la main. » J'avais passé toutes les étapes de la « chute sociétale » : le renvoi, les problèmes d'argents, plus le tribunal parce que j'avais déconné. J'avoue, j'ai déconné. Plus que beaucoup, alors maintenant je m'agitais en ermite repenti, les années, les réflexions, le travail sur soi. Je me demandais souvent si le fait d'être tombé dans cette situation n'était pas une sorte de bénédiction, une remise à zéro, puisqu'en fin de compte, quand t'es clodo, t'es plus soumis aux règles des gens normaux. On ressens les choses différemment, et tout paraît plus beau parce qu'on prend le temps de le regarder. Et si mon vélo était là , et que je quittais cette chambre insalubre que je squattais depuis 1 semaine, c'était pour préparer mon voyage, j'allais faire comme Ulysse, même si on avait pas forcément les même motivations. Mon odyssée commençait. J'enfourchais ma monture, la tête haute, regardais autour de moi et me mis à pédaler. J'avais le bonheur de rouler, comme si c'était la première fois. Je m'amusais avec les voitures, jetais des coups d'oeil aux gens qui passaient, blasés par leurs train-train, et dire que moi je m'en allais !
Je sortis de la ville, et pendant des heures, je pus faire la course avec les voitures, regarder le Soleil progresser dans le ciel, l'air de dire « Est-ce que tu crois que tu pourras arriver avant moi ? »
Alors je pédalais, le décor se ressemblait, la seule chose se modifiant étant la position de l'astre et les animaux présents dans les prairies. Ils me faisaient marrer ceux là , je voyais deux mondes pareils représentés différemment, quelques heures auparavant, les humains contraints dans les rues, ici les vaches et les chevaux contraints dans leurs enclos , quoiqu'encore, ceux là avaient la chance d'être souciant seulement de leur nourriture. Qu'on leur donnait. Je chassais les pensées banales, je voulais faire qu'un avec l'asphalte qui se déroulait sous mes roues, je voulais ressentir sur chaque parcelle de ma peau le vent soufflant, soulevant ma veste et mon t-shirt, faisant voler mes cheveux. Je ne pus m'empêcher de lever mes mains, tentant de garder l'équilibre et riant, riant de tant de bonheur, bonheur ingrat et égoïste, mais bonheur quand même. La fatigue vint au bout d'un moment. Ah ! Quand même, je me croyais sur-homme ! J'avançais désormais à un rythme plus lent, pédalant désormais pour ma survie, et vint à moi la question qui vient à tout Homme, peut importe son âge, lorsqu'il s'enfuit, sensation identique à quand j'avais fait ma fugue, dans mes années de jeunesse : où est ce que je vais ? Mots délicieux d'insouciance et de questionnement, auxquels je trouverais bien ma réponse un jour.
par Mr. Kanard