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Incompréhensible

"La lassitude de s'éveiller sur Terre, comme un corbeau volant pitoyablement à la recherche de quelques macchabées , histoire de vivre pour continuer son perpétuel vol. La chambre est poussiéreuse, le sol fait office de meubles, avec ses vêtements, livres, chaussures s'éparpillant un peu partout. Les volets sont rouillés à force de ne pas avoir été ouverts, le frigo survit avec un paquet de jambon bientôt dépassé. En guise de boisson le matin, c'est café soluble, chauffé à l'eau chaude du robinet. Le reflet de la glace lui donne seulement envie de se mouiller le visage et d'avaler ses cachets.

Marcher dans les rues, vides ou pleines, ne traîner que dans les endroits isolés, histoire de ne pas se faire remarquer. Faire ceci pour cela, toujours mettre une raison, et quand il n'y en a pas, on peut tout faire. Se sentir dans son cœur comme on se sent sur une plage de Normandie, un dimanche matin à 7 heures, vide et seul, quelques miraculeux passants, et les rayons du Soleil s'amusent à vouloir vous faire courir à droite et à gauche pour les retrouver. Prendre la voiture et aller se perdre sur les autoroutes de France, parce qu'on a pas assez les couilles de sortir du pays. Et c'est pire quand on a pas de voiture ou de permis. Traîner un peu partout, sans vraiment savoir quoi faire, il y a bien deux, trois passions qui l'animent, mais il a la flemme, l'absence de volonté. Ramper au sol jusqu'à ce que vienne l'heure de ramper dans son lit. Et même le sommeil ne pardonne pas le manque d'effort, même le sommeil se lasse. Comme un empereur sadique, il s'amusera à lui donner un instant de réconfort pour se faire réveiller juste après. Mais ça ne dure que la nuit, le lendemain il pourra retourner ramper.

La lassitude prend place, fait ses marques, et au bout d'un temps, lui voudrais bien en sortir. Au fond, lui aussi a des rêves ! Longer les murs et les couvrir d'images, images uniques, faites de lui et par lui. Se sentir libre et courir quand on le poursuivrait. Échapper aux ordres comme on échappe à la vie, escalader le plus haut arbre pour se sentir plus libre, plus en sécurité, proche du Ciel, loin des Hommes. Tourmenté depuis son plus jeune âge, il ne cherche pas à savoir comment faire, il cherche seulement pourquoi. Il ne pouvait associer les deux. Il n'était pas si laid, avait sur son visage les traces d'une jeunesse perdue par les cauchemars, jadis les yeux éveillés par les rêves, ils étaient maintenant ternes, mais y subsistaient toujours un certain éclat, à bien y regarder. Comme un loup, sauvage mais conscient. Il avait quand même réussi à avoir son bac avec mention bien, et ensuite s'était caché en ermite dans une petite maison, plutôt comparable à un nid. Une des pires choses qui pouvaient arriver à un Homme, perdre ses rêves, ne plus croire en rien, et être dans une chute infinie et troublante, comme celle du Falling Man. Incompréhensible, impensable et oubliée."

par Mr. Kanard

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