Espoirs
"On marchait depuis 15 minutes seulement, et déjà mes jambes commençaient à chauffer. Pas assez de sport. Nous étions trois, et on revenait de la mer. Quelques heures plus tôt, le Soleil commençant à décliner, on s'était assis sur le sable, doux par certains endroits, lorsqu'il n'y avait pas de coraux, de cailloux ou de mégots. Les vagues, poussées par le mouvement du vent, tentaient en vain de nous mouiller les pieds. Y avait en chacun de nous l'excitation et en même temps l'appréhension d'être ici. C'était pour bien voir l'océan qu'on s'était rendu là , pour discerner le bateau qui remonterait peut-être l'horizon jusqu'à nous. On attendait pas un gros paquebot miraculeux qui nous sauverait, comme l'avait fait Robinson, mais juste un petit navire, capable de transporter une dizaine de personnes, dans lequel se trouverait des gens que nous aimions, partis en voyage de l'autre côté du Monde. On avait senti la chaleur et le rayonnement de cette grosse boule de feu décliner sur nos visages, premier baiser de la Nuit sur nos yeux qui perdaient, au fur et à mesure que l'astre se cachait, leur éclat.
« -Vous pensez qu'on va les voir ? »
C'était Anne qui avait posé la question, question que nous laissions naviguer sur le flots de nos pensées, sans la poser. C'est toujours plus facile de se lancer quand quelqu'un avant nous le fait. Un genre de crainte, ridicule et compréhensible à la fois.
Elle nous regardait tour à tour, tout en sortant son paquet de cigarettes. Elle se servit, nous en proposa une, et une fois que les trois tubes de tabac furent braisés, je répondis.
« -Je ne sais pas. D'un côté, c'est l'espoir qu'ils reviennent qui nous fait rester aussi positifs, mais de l'autre, ça paraît insensé. Ça fait 3 mois qu'ils sont partis, et ils n'avaient des provisions que pour 1 mois et demie. Après, ce sont des débrouillards, mais je ne pense pas que nous les reverrons ce soir. »
J'avais dis ça en me surprenant moi-même, comme si je parlais à la place d'un autre. Mais je disais vrai. Le Soleil n'était presque plus là , et je savais que nous connaissions tous la réponse, pour ce soir au moins. Les vagues qui revenaient, apportaient de tout et de rien, allant des algues aux petits objets hétéroclites, mais ce soir, elles ne paraissaient pas décidées à nous rendre ce que nous voulions. La Nature était, tout en étant notre source de vie, une de nos sources de désespoir. Nos ombres se mouvaient sur la plage, tandis que nous marchions en file indienne vers la route. C'était le même effet que d'attendre, un soir du 24 décembre, le Père Noël, sans le voir venir, quand on était gosse. Alors on repartit, sur nôtre montagne, nôtre repaire, telles 3 âmes vagabondes et incertaines. Mais une chose était sûre, nous reviendront encore, à chaque couchers de Soleil, c'était une promesse faîtes à la Vie, et j'espérais que, si ils ne venaient pas de mon vivant, mon esprit continue à aller s'asseoir sur le sable, flou et serein, dans l'ombre d'un espoir immortel. L'espoir. Ce mot sonnait pourtant faux, il ne collait pas avec cette route que nous parcourions, route usées par les années de passages, qui indiquait un mouvement progressif et actif, alors que l'Espoir au fond, c'est de se dire que tout ira bien sans avoir à faire quoi que ce soit. Tout se confondait, mes pensées et l'ambiance rassurante de la nuit chaude, tout se contredisait, et la seule chose qui aurait été vraiment stable pour nous trois à ce moment fut la route. Alors on continua jusqu'à notre chez nous."
par Mr. Kanard