Sauvage
« Le jour se lève, et lui semble être le seul être sur cette Terre qui n'a pas fermé l’œil de la nuit. Il a erré, à la recherche d'une ville, d'un endroit paisible, il rêve, ou bien il s'enfuit ? Il marche les pieds nus, noircis par la poussière, il a un sac sur le dos, que pourrait il y avoir dedans ?
-J'arriverais, j'arriverais un jour, j'arriverais bientôt...
Il ne cesse de penser, il voit le panneau qui annonce la prochaine ville, plus que quelques kilomètres. Les noms des villes ne sont plus rien, ce qui compte, c'est la distance. Marcher, marcher, toujours marcher. S'arrêter quelque part, c'est vouloir sa fin. On pourrait penser, à sa mine fatiguée et sa démarche pressante qu'il fuyait quelque chose, mais si son cœur n'était en fait qu'à la recherche désespérée du rayonnement de la vie depuis les étoiles, le mystère des naissances jusqu'aux conclusions de la Mort. Le Soleil fait perler des gouttes de sueurs à ses tempes, et ses vêtements seront vite trempés. Ça fait deux jours qu'il n'a pas mangé, et il n'a vu personne sur les routes, hormis quelques voitures qui passait tellement vite qu'il avait eu du mal à croire qu'elles étaient passées. Sa marche est devenue frénétique, c'est un mouvement qu'il a encré en lui depuis le commencement de son existence. Marcher pour aller travailler et voir des amis, il fût un temps. Marcher pour recouvrer la Vie, trouver la réponse aux questions qui l'empêchaient de dormir, marcher pour trouver le présent, et parvenir jusqu’au futur, c'est ce qu'il fait maintenant. Sa barbe est vieille de plusieurs semaines, et elle risque bien de rester là encore un moment. Ses yeux sont l’Océan qui s'est retiré de ce désert depuis des millions d'années. La vieillesse de la route et du lieu va parfaitement avec cet homme, ce vieillard qui a pris le poids des routes sur ses épaules frêles.
Il s'éloigne et va dans la plaine qui longe le côté droit de la route, à l’abri de petits rochers, pour sortir de son sac une casserole métallique et son réchaud. Il part dans l'obscurité qui commence à tomber autour de lui, à la recherche de ce qui pourrait lui permettre de tenir jusqu'à la prochaine fois où il sentirait la faim. Le froid environnant fît se dresser un mur de brouillard, et seule la lumière de sa lampe frontale parvenait à s'échapper, difficilement, des volutes blancs qui cherchaient à l’entraîner dans la nuit sans possibilité de marche arrière. Il ne doit pas se perdre. C'est quelque chose qu'il s'interdit. La simple pensée de se déconcentrer et de tomber dans un trou, de mourir ici lui fait peur. Tellement contradictoire, cet homme qui affronte les dangers tout en ayant peur d'eux.
Il sort son couteau, il a entendu des pas étouffés. Il se cache derrière un rocher, et se penche discrètement pour regarder. C'est un coyote. Qui ne bougeait plus, évaluant la situation comme le fait l'homme. Prédateurs et proies l'un pour l'autre. Mais l'humain ne pouvait pas perdre, il ne pouvait pas sombrer. Il ne devait pas laisser ces crocs se refermer sur sa gorge. Il se met totalement à découvert, regardant le coyote dans les yeux, aucun des deux ne cillaient. Ils sont deux fauves : un avec un couteau et un manteau, l'autre avec des crocs et des griffes, chacun ayant faim, chacun ayant peur, chacun ne sachant que faire. Ils s'avancent un peu plus, et là , tout d'un coup, sur un signal inconnu, invisible sur Terre, ils se jettent l'un sur l'autre, le chien, la gueule ouverte pour le déchirer, planter ses crocs dans la chair blanche et douce, en faire jaillir le sang, et lui qui s'esquivait pour lui planter son couteau dans le ventre, traverser la fourrure brune et faire sortir ses entrailles au sol. Les deux avaient exactement la même chance de mourir. »
par Mr. Kanard